Famille Incestueuse, lettre à une sœur: Témoignage SIA

A toi, ma sœur, belle et rebelle…

C’était toi, bien plus que notre mère, qui m’expliquais la vie et le monde. Je craignais ton ironie, facilement cinglante, et tes manipulations : j’étais la bonne poire, tu savais me faire marcher ! Ton attitude rebelle face à l’autorité m’impressionnait, moi la trop-soumise. Tu savais profiter de la vie, parfois même un peu trop… Trop fort, trop rebelle, mais si vivante, malgré tes deux tentatives de suicide (passées sous silence : surtout, pas de vagues dans la famille !)… Tu étais si sensible à l’injustice, toujours là pour dénoncer, jeter des pavés dans la mare.

Un jour, tu as parlé de Papa :

à la mer, il t’avait demandé de te déshabiller… Mais c’était flou sur la suite. A l’époque, ignorant ce qu’était l’amnésie traumatique, j’ai adopté le même discours de minimisation et banalisation que le reste de la famille. Préférant croire que les choses n’avaient pas été plus loin, et puis, presque 20 ans avaient passé, alors… Tu m’as aussi parlé du viol subi, vers tes 10 ans, à la sortie de l’école. Suite à tes révélations, j’ai eu une « gastro » . Mon corps rejetait tout en bloc, les émotions, la vérité crue et cruelle.

Ton expérience de la maternité fut souvent laborieuse : innombrables péripéties médicales lors de ton premier accouchement, endométriose rendant difficile la conception de votre deuxième enfant, sentiment de solitude conjugale si fort, lors de ta troisième grossesse. Sur fond d’allergie au lait, emblème maternel…

Plus tard, tu as peint:

Une autre scène que celle dont tu avais su parler, plus ancienne, plus précise, et donc plus indicible. Tu as légué ta peinture à un ancien prof’ de tes filles (alors adolescentes) avec mission, lors de ton enterrement, de leur « proposer sans imposer » : « Je sais quelque chose sur l’enfance de votre mère, que vous ne savez pas. Le jour où vous voudrez savoir, vous pourrez venir me voir ». Des années après, ta fille aînée a osé y aller, s’enquérir, et a reçu en plein cœur cette « révélation-Papy », l’a diffusée à sa génération, sœurs, cousins, cousines. Encore un pavé dans la mare, ton dernier, posthume.

Lors de ton cancer, tu avais cherché des réponses transgénérationnelles à ton histoire, sur 5 générations. On dit que « La plus belle femme du monde ne peut donner que ce qu’elle a », et le constat terrible est que les femmes de la famille, depuis des générations, n’ont jamais pu donner que ce qu’elles avaient elles-mêmes reçu : à tes filles, bien que tu aies tenté en conscience de leur donner tant d’amour, de goût du dialogue, et d’ouverture d’esprit, tu as toi aussi transmis et infligé, inconsciemment, la même hargne, le même « dénigrement systématique », la même naïveté face aux prédateurs sexuels (familiaux et autres), la même incapacité à voir les abus pour ce qu’ils sont, que nous avions reçues… Tes trois filles, toutes trois codépendantes, toutes trois dans des métiers du soin : qui doivent-elles donc soigner ???!!! Elles ne sont pas indemnes, pas plus que tu ne l’as été. J’en pleure.

Le tabou est si fort qu’il impose le silence.

Et moi, j’ai fui cette famille si délétère, pour tenter de sauver ma peau, terrorisée, impuissante, désespérée…

Un jour, je suis allée en réunion SIA parler de toi. En racontant ton histoire, je me suis retrouvée face à la mienne… La claque !

J’ai pris l’habitude, quand je passe près du lieu dont tu as parlé, de lui tourner le dos. Me tourner vers la mer, et prier ma Puissance Supérieure de « prendre soin de ma sœur là où elle est, et de tous ceux qui ont souffert de Papa… y compris moi ». 20 mois plus tard, comme « guidée par le destin », j’ai pu faire une visite virtuelle de la villa de notre enfance, à nouveau en vente, et comparer: « ça » a été si fort gravé dans ta mémoire que, bien que réalisée une trentaine d’années après les faits, ta peinture est une vraie « photo » des lieux, saisissante de précision… Avec des aberrations aussi, puisque l’homme représenté ressemble à ton mari, non à Papa; Amalgame qui, de ton propre aveu autrefois, avait pourri toute votre vie sexuelle…

Lors du confinement, j’ai relu tes anciennes lettres.

J’ai repris en pleine figure les distorsions de la communication familiale, les symptômes physiques qui ont affecté nombre d’entre nous : somatisations de l’innommable! Tu m’as écrit un jour, clairement : «Mon enfance ne fut qu’une longue suite de souffrances». Tu avais alors 37 ans, et tentais encore d’en guérir, d’en parler. Un cancer t’a fait taire 6 ans plus tard.

A toi, ma sœur, toi la trop-belle et moi la pas-assez-rebelle, j’ai fait serment dans mon cœur, malgré ma terreur, de reprendre le flambeau de ta révolte, d’oser nommer les abus pour ce qu’ils sont. Ce témoignage en est une tentative. Pour moi, pour toi, pour tes filles. Tes petits-enfants. Toutes les femmes de la famille, des quadrisaïeules en amont, aux plus jeunes en aval. Pour tous les enfants abusés.

Cela me serait impossible sans soutien. Mais j’ai tant appris en SIA, trouvé tant de secours dans la pratique des 12 Étapes et le recours ultime à une Puissance Supérieure Aimante, que cela me semble parfois possible (avec aussi divers recours complémentaires : thérapeute, etc…). En tout cas, j’essaie.

Peu importe que les faits remontent à une bonne cinquantaine d’années, le temps n’existe pas pour ces choses-là, qui nous ont figées dans un no man’s land de souffrance et de déni.

Merci d’avoir ouvert la voie, d’avoir « ouvert ma voix ». Repose en paix.


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Inceste, déni, et mémoire du corps: Témoignage SIA

J’avais environ 16 ans quand ma sœur préférée m’a questionnée sur Papa et sa sexualité.

J’ai éludé, gênée. On n’en a plus reparlé pendant 14 ans.

J’avais environ 30 ans quand elle a parlé des agissements sexuels de Papa à son égard, et mes 3 autres frères et sœurs ont alors parlé, eux aussi. Mais toujours pour dire que c’est rien, c’est du passé, pour minimiser. Je me croyais la seule indemne de ces comportements incestueux. Moi, je me faisais juste enguirlander à tout bout de champ, et je croyais que c’était tout, et que c’était juste normal : j’étais trop nulle, trop tarée, trop « malade mentale » et coupable de « m’y complaire », me répétait-on en famille…

J’avais 36 ans quand j’ai arrêté de boire, 42 ans quand j’ai arrêté de fumer. Ces deux abstinences, obtenues grâce au soutien de Fraternités en 12 étapes, avaient beau être devenues confortables,

je me heurtais encore et toujours aux mêmes symptômes:

  • Pulsions suicidaires envahissantes (2 passages à l’acte reconnus comme tels, l’un à 16 ans, passé sous silence et occulté par mes parents, l’autre à 40 ans, m’ayant valu une HDT et 2 mois de clinique);
  • Hypersomnie occupant tous mes loisirs et m’empêchant de vivre et profiter de la vie;
  • Angoisses perpétuelles, à propos de tout et de rien, invalidantes, elles aussi; dépression;
  • Hyper-émotivité, dépendance affective, haine de moi, haine de la vie;
  • Idéalisme forcené pour contrebalancer, statut de victime à répétition;
  • posture de bouc émissaire où que je me trouve: boulot, famille, couple, amitiés, et même dans les Fraternités.

Mais bon sang, qu’est-ce que j’avais donc, pour souffrir comme ça ?

Ma famille m’avait convaincue que j’étais folle, j’en avais même demandé et obtenu le statut! Il paraît que ça expliquait tout, et que c’était de ma faute si ça durait depuis si longtemps, mais qu’ils m’aimaient bien quand même…

J’avais 55 ans quand mon père est mort. J’étais déjà en plein burn-out, suite à maltraitances au boulot. Ma famille ne me soutenant absolument pas, bien au contraire, j’ai rompu avec eux.

J’avais 56 ans quand j’ai fait ma première réunion SIA,

où je venais en tant que «pro-survivante» en mémoire de ma sœur (morte d’un cancer du sein), la seule qui avait osé dénoncer, ne pas minimiser les agissements sexuels paternels…

Je venais à Paris pour autre chose, qui finalement n’a pas eu lieu, et j’avais casé cette réunion dans mon emploi du temps de ce jour-là pour «rentabiliser» mon voyage à Paris. J’ai parlé du proxénète que j’avais connu vers 17-21 ans, qui avait failli réussir à me mettre sur le trottoir, mais à qui j’avais pu échapper. J’ai parlé du verrou que ma sœur, adolescente, avait acheté et posé elle-même sur la porte de sa chambre, pour pouvoir s’y enfermer et dormir sans être dérangée par Papa. J’ai parlé de la peinture intitulée «L’inceste» qu’elle avait peinte pendant son cancer. J’ai acheté quelques brochures SIA, mais pas vraiment pour moi, juste dans l’idée de mieux comprendre une de mes filleules AA.

Rentrée chez moi, j’ai lu ces brochures, et mon corps m’a violemment manifesté qu’il se passait quelque chose à ce niveau-là! Quand je lisais ces brochures, mon corps s’affolait : dos, ventre, cou, yeux… Quand je les rangeais, tout se calmait. J’ai compris que mon corps me disait que moi aussi j’étais concernée, et pas seulement par le biais de ma sœur. Directement. Moi aussi.

J’ai passé 3 à 6 mois à faire des «allers et retours dans ma tête»,

entre conviction que mon corps me disait que moi aussi, j’avais subi des choses glauques, et conviction que non, je suis folle, c’est rien… Mais quand même avec ce sentiment, comme une marée montante, que j’étais chez moi en SIA, que j’avais enfin trouvé la source, la racine, la cause profonde de tous mes symptômes. Alors, j’ai aussi fait des «allers et retours à Paris», pour aller en réunion, écouter, acheter d’autres brochures…

J’ai découvert les notions de mémoire traumatique, d’amnésie traumatique, d’impuissance apprise, de somatisation de l’indicible, l’innommable, l’impensable, d’idéalisation des abuseurs… Et je savais que tout ça, c’était ça, ça expliquait tout! Je le savais de l’intérieur, je le sentais, et je le niais aussi. Je ne pouvais pas croire une chose pareille. Mais enfin, tout ça prenait sens!!!

J’ai examiné mon enfance:

Regardé d’un autre œil ma famille et ses innombrables dysfonctionnements. J’ai continué de me rétablir en suivant les 12 étapes, déjà familières. J’ai mieux compris certains rêves ou cauchemars d’autrefois, et aussi diverses remarques et questions de thérapeutes, lors de stages de thérapie que j’avais tentés, au cours de ma vie. J’ai tout ré-examiné, mené l’enquête sur mon passé, celui de ma famille, et même de mes aïeules. Beaucoup de «blancs», d’énigmes, encore.

Mon corps continue de s’exprimer. Lors de séances de Qi Gong, d’eutonie, c’est-à-dire dans des contextes parfaitement paisibles, qui n’avaient absolument rien de triste ni de sexuel, j’ai eu des «remontées» terribles, tantôt de désespoir, tantôt de souvenirs sexuels ou violents. C’est mon corps qui a les infos. Désormais, je l’écoute de mon mieux, aussi terrible que ce soit, car cela seul pourra me permettre de me soigner, me libérer, apaiser ces horreurs.

Je continue d’osciller entre déni, réminiscences, refus, dégoût… Et surtout, je «traverse les flammes» de terreurs sans nom, je secoue grain de sable par grain de sable la montagne d’impuissance qui me paralysait. Je surnage pour ne pas me noyer dans cet océan de désespoir. 24 heures, ou 24 minutes, ou 24 secondes à la fois.

Je ne suis plus suicidaire.

Mon hypersomnie ne se manifeste plus que rarement, quand je suis à nouveau pétrifiée d’impuissance.

Je contrebalance mes angoisses en cultivant la foi en mon rétablissement, en changeant le 1% de ma vie que je peux changer, ici et maintenant, concrètement et intérieurement.

Je me laisse traverser par mes émotions, sans passages à l’acte mais avec des «mises en acte» plus constructives. Je pose beaucoup d’actes symboliques, libérateurs. J’écris. J’apprends à prendre soin de moi, de ma petite fille intérieure maltraitée, bafouée, violée, presque tuée. Je repère de mieux en mieux, et arrive de mieux en mieux à éviter, les situations et personnes maltraitantes.

Je ne suis ni folle ni malade mentale ni coupable: j’étais victime. Je deviens survivante. Peut-être même qu’un jour, je serai carrément vivante! Merci SIA!!!


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